West Coast 2016

Quelques semaines dans le sud de Californie, avec quelques saut de puces dans le Nord.

Alors que tu te déplaces en Lyft (parce que Uber c’est vraiment des connards, contrairement à Lyft et leur logo rose ?) dans la seule ville du monde où ce n’est pas du tout une controverse (peut-être parce que les deux plus gros acteurs du marché payent leur taxes à San Francisco.), et pendant que le chauffeur tripote son téléphone et s’arrête régulièrement pour prendre une personne de plus, tu vois passer dans ta fenêtre les enseignes lumineuses de Twitter, Atlassian, Airbnb, Salesforce, Dropbox, Pinterest… et tu peux pas t’empêcher de faire le parallèle.

Le parallèle entre les chercheurs d’or du 19ème siècle et les méga start-up qui se payent le futur plus haut gratte-ciel de la ville (Salesforce). La différence c’est évidemment qu’on venait à San Fransisco pour trouver l’or, alors que les start-up viennent à San Francisco après l’avoir trouvé mais la conclusion c’est que l’on tombe encore dans une ville multiculturelle non seulement dans son histoire moderne mais aussi, et c’est plus rare, contemporaine !

Et évidement tout en saluant ce fameux multiculturalisme, tu peux pas t’empêcher de remarquer que dans absolument toutes ces bagnoles UberPOOL ou Lyft Line, (1 voiture sur 5, facile), 4 blancs se font conduire par 1 mexicain. Une multiculture du high-tech au sommet de laquelle trône les blancs (et certains Asio-Americains) qui depuis 4 ans ne payent plus que 7$ leurs courses de Taxi !

Alors qu’est-ce que ça fait de vivre au sommet du Mont Blanc (ahah) dans le 2 pièces coquet d’un pote célibataire ? Ben on a une drôlement belle vue sur les jolies maisons colorées de San Francisco sur les fenêtres desquelles rougeoient les rayons du soleil soir et matin ! Et derrière ces milliers de petits carreaux illuminés vivent tant de locataires payant en moyenne 3500$/mois pour 2 petites pièces. Un tapis dorés de taxes municipales de Ashbury au Golden Gate, quel panorama !

On a quand même voulu explorer les autres « peuples » attirés par San Francisco en se faisant des petits « Detours » (nouvelle startup à la mode qui te fait des audiotours sur ton iPhone géoloqué, tellement 2016 !). Le premier : les chinois et Chinatown qui forment quand même un cinquième de la population, c’est pas juste des jolies pagodes ici ! Temples boudhistes, tremblement de terre et CocoBuns yeah ! Le deuxième, la beat génération ! Bob Dylan, Kerouac, tous là dans d’étroits petit troquets à redessiner notre image du monde ! Et le troisième : les gays.

On a passé quelque heures dans le Castro à écouter un Detour raconté par Cleve Jones, un des proches d’Harvey Milk, et après avoir vu les accomplissements (difficiles) de la communauté asiat, on s’est retrouvé là au pied de ce gigantesque drapeau gay qui flotte plus fier qu’une bannière étoilée au dessus de Castro et Market Street. Ce symbole digne d’une nation qui te ramène à l’éternelle oppression passive infligées à ceux qui, même blanc, bien nés, éduqués, ne rentrent pas dans notre bon vieux moule, celui dans lequel on coince prestement nos gamins en s’écriant, soulagé : Ça rentre !

La vérité c’est que ça ne rentre pas, mais qu’à force de coups (pris), de défiance, d’organisation, et d’innombrables échecs on arrive à imposer un drapeau un peu plus haut que les autres, et si certains le remarque (ah ouais tu peux pas le louper) et s’arrête pour y reconnaître un droit d’exister ou en tout cas sa tentative, tant mieux.

Et pendant que tu réfléchis sur ce monde de négation et d’opportunité au milieux des facades multicolores de San Francisco Main Street USA, alors que tu montes ou descends lentement l’une des rues à 45 degrés de Cole Valley ou de North Beach, et que tu t’arrêtes pour observer les collines et ce brouillard qui leur glisse dessus comme la fumée d’un Beatnik, tu peux voir une volée de perroquets verts se poser dans un arbre à un mètre de toi, comme si tout d’un coup les pigeons passaient en Technicolor.

Et là tu te dis ben merde, entre une baie et un océan, San Francisco accueillent ses peuples et recrache sa brume depuis 250 ans et moi, bougre de blanc, je la découvre que maintenant.

C’est un truc sur la liste, la chose à faire pour pas regretter.

45 minutes avant Las Vegas, paumé en plein désert sur l’insterstate 15, et 7 mètres après que t’aies passé la frontière du Nevada (yeah! le jeu est légal!), se dresse … trois petits points, l’enseigne les vaut bien : Whiskey Pete’s !

Un complexe de 3 hôtels + monorail où les vrais crevards qui veulent s’économiser quelques kilomètres et quelques dollars en nuits d’hôtel (parce qu’en machines, t’inquiète pas pour eux) se retrouvent pour surtout pas se parler.

C’est Vegas sans le glamour, le Strip sans les néons, la lose sans hypocrites !

Alors évidemment ma fascination pour ce genre d’aimant à misère se nourrit généralement dans une période  optimiste, genre poster HOPE d’Obama.

Ces derniers jours, les évènements font qu’on a pas forcément envie de se retrouver à Narnardland à compter les casquettes rouges. Mais bon, on va pas faire l’autruche non plus. Maintenant qu’on sait qu’il en existe 59 000 000… Va falloir se résoudre à les côtoyer et quoi de mieux que le Pete pour commencer.

primmgif

 

Je sais bien que j’ai choisi une destination qui n’est peut-être pas l’endroit idéal pour vivre le choc politique de ces fêtes de fin d’année. Mais finalement c’est peut-être pas si pire pour réfléchir. Il faut admettre que Las Vegas nous paraît un cauchemar parce qu’elle néglige la subtilité. Toute cette merde nous saute directement à la gueule, mais faut pas croire que les concepts utilisés ici ne sont pas imités partout où on va acheter une pair de tongues.

Las Vegas te fait vivre la vie d’un riche. Avec du faux marbre, on te fait chier dans de belles toilettes, on te sert ton burger dans une assiette à initiales pour te rapprocher de cet état tant convoité. Et comme le petit garçon dans la belle auto de papa, tu lèves la tête, tu bombes le torse et tu cherches le gain en jouant ou en achetant un truc trop cher. (Comme un Perrier par exemple…)

Mais ce principe-là, moins « vlan-dans-ta-gueule » est présent dans tous les centres commerciaux du monde ! Et depuis les termes romains on a toujours construit des palaces aux cons quand on a eu besoin d’eux. Avant le Forum du Caesar Palace, il y a eu la galerie Victor Emmanuel II à Milan et les grandes gares du XIXème siècle. T’es le roi mon Maurice, achète.

Ici tu vois des gens faire la queue sous un ciel trompe-l’oeil mal éclairé pour monter dans une gondole et écouter un canotier avec des lunettes Oakley chanter les pires tubes americo-italiens.

Pour toi ça fait pas rêver, t’as vu Venise de près mais pour eux c’est exactement ça, du rêve.

On te vend du rêve ! Et cette phrase nous paraît légitime, optimiste même. On l’évoque régulièrement sans la moindre critique. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ça revient juste à ne pas évoquer de raisons concrètes pour aiguiller ton achat. Tout ce qu’on évoque ce sont de vagues espoirs façonnés en fonction de ton profil. On te vend « ton » rêve. Tu vas te sentir plus puissant, les meufs vont te respecter, tu vas avoir l’air cool, tu vas « contrôler » ton destin. Et tout ça avec un baltringue qui fait des zigzags entre des volcans ou une connasse qui coure avec un parfum dans la main.

Or mercredi on a vu pour la première fois cette technique publicitaire faire élire le président du pays des pays.

Donald a rien expliqué. Il a juste promis que ce serait mieux ! Et là où les politiciens classiques s’obligent à détailler rationnellement les applications de leur promesses au risque d’embrouiller les electeurs avec des chiffres compliqués et pas franchement convaincants, Trump a pris le parti du vendeur d’elixir Lucky Luke : Ça va être génial, un truc de dingue, on va faire tellement mieux !

Une technique publicitaire qui définit donc le destin des générations futures? Ça fait peur, et comment c’est possible ?

Ce n’est en fait que le couronnement de la marketisation de la politique, l’avènement de la stratégie maintenant communes à toutes les industries et les gouvernements.

Plutôt que de créer des produits et demander aux marketeux de définir un message pour les vendre (leur job), on laisse les marketeux concevoir eux-même des produits (vraiment pas leur job) qu’ils seront plus à même de vendre. Au final, leur métier de marketeux est plus facile, les produits sont complètement inutiles voire dangereux et ces cons-là contrôlent maintenant ta compagnie.

Il suffit maintenant de remplacer dans cette phrase les produits par des lois et les compagnies par des pays, et t’as la politique mondiale de ces dix dernières années.

Finalement je suis quand même mieux à Whisky Pete’s, qui avec son Buffalo Bill Hotel en forme de grange rouge de 15 étages et son lobby « ville western » est resté figé dans le Las Vegas des années 90. Ce Las Vegas-là te construisait une tour Eiffel et des bateaux pirates pour te faire « voyager », il te racontait une belle histoire pendant qu’il te faisait les poches, il te flattait pas comme un vendeur de bagnole, c’était un bandit honnête quoi, pas politique.

img_6605

Cadeau

L’exotisme, le vrai celui qu’on recherche dans chacun de ses voyages réside pour moi dans l’inconnu. Or mes voyages étant centrés sur des endroits très connus sur lesquels je souhaite juste poser, une fois, mes propres yeux, l’inconnu n’y couvre que ce qu’on ne voit pas sur les cartes postales comme la forêt de selfie sticks devant la Joconde, la buvette hors de prix du Machu-Pichu, ou encore les daims qui t’arachent ton sac de bouffe à Nara. L’envers d’un décor mille fois documenté donc.

Mais ici, j’arrive en novice très peu informé sur les merveilles des Parcs Nationaux américains, j’en suis donc pour un double inconnu, l’envers et l’endroit. Or j’ai beau chercher la merde derrière le beau tableau dépeint dans les cadres jaunes de National Geographic, je ne trouve pour l’instant rien pour nourrir mon cynisme.

Pas de queue interminable pour rentrer dans le parc naturel, pas de poubelle débordante au milieu des panoramas, pas de clodo qui te vend le gadget du moment devant l’unique point de vue et pas tellement (mais un peu quand même) de selfie sticks. Je ne peux donc ici que retranscrire les impressions romantiques et naïves d’un observateur guère habitué à ce genre de description : l’endroit du décor.

Et ça commence par le Joshua Tree (pas qu’un album de U2 donc) ou plutôt le Joshua Tree National Park tout près de la ville de Joshua Tree, parce que tu vas en voir des Joshua trees ! C’est le seul endroit au monde d’ailleurs où tu vas en voir. Un hybride d’arbre et cactus qui décore parfaitement un terrain vague, un parc naturel ou l’allée de ta maison. C’est reposant un Joshua tree. On dirait que les branches grandissent en s’évitant comme autant de frères et sœurs malheureux. C’est comme un abre qu’aurait dessiné un tout petit : 3-4 branches trop épaisses, et les feuilles tant pis. C’est comme le chaos tranquille d’une nature paresseuse, bref c’est un très bel inconnu.

Tu vas aussi voir une « forêt » de cactus Cholla. C’est des cactus de la taille d’un petit homme recouverts d’épines longues et denses aux reflets de fourrure. Le haut à des teintes jaunes et blanches, le bas noir comme du velours. C’est pas tant la plante qui est impressionnante mais plutôt d’en voir les têtes claires à perte de vue au pied des massifs lunaires du Joshua Tree.

Tu vois aussi des ocotillos. C’est comme de grand rosier dont la plupart des piques seraient remplacés par des minuscule petite feuilles très vertes. Et sur certains, car leur floraison n’est pas saisonnière mais dépendantes des pluies, le bout des branches pointent vers le ciel de petites fleurs rouges bien trop petites pour la hauteur du machin.

Tu vas aussi voir des rochers énormes formés par des coulées de lave sous-terraines. Ils sont bien gros et bien ronds comme des gadins dessinés à la hâte dans un mauvais croquis d’architecte.

Bref, on vient de se prendre 2 jours d’inconnu naïf dans les yeux, on digère tout ça dans l’hôtel de Lost Highway aux portes de la Vallée de la Mort, et demain, on repart pour un nouvel inconnu, avec cette fois, un peu de cynisme j’espère.

Valley of Love : Huppert + Depardieu.

L’histoire d’un couple de stars françaises divorcé et dont le fils récemment suicidé a envoyé une lettre à chacun de ses parents pour qu’ils se retrouvent dans la Death Valley dans l’espoir, tenez-vous bien, de l’y revoir une dernière fois. Évidemment ça nous a un peu donné le thème de la journée.

Depardieu et Huppert dans la Vallée de la Mort c’est comme si les deux chefs de l’état d’esprit français s’étaient rendus là-bas. Ils s’engueulent, ils se plaignent, ils se cachent derrière une froideur condescendante dès qu’un américain leur parle du beau temps et pestent contre la mauvaise réception de leur téléphone portable. Il est gros et il sue, elle est belle et hautaine. C’est la France en voyage (qui a perdu son fils).

Le film est tourné à plusieurs endroits du parc et surtout à Furnace Creek Ranch, le resort au coeur de la Death Valley où tu peux entre deux pauses photo, manger un burger, piquer une tête, faire un golf ou encore tripper dans le magasin où Isa achète sa soupe dans ce film que personne a vu ! Pour moi, impossible en faisant le Death Valley National Park, de ne pas penser à Isa et Gégé, en sueur, courant après leur fils mort dans chacun des points de vues mythiques de la Vallée de la Mort.

Évidemment le réalisateur a pas choisi le lieu par hasard, c’est dans ce genre de cadre-là que l’on peut vraiment contempler notre petitesse. C’est difficile de réaliser l’insignifiance humaine devant des constructions anciennes. Oui la Muraille de Chine, oui le Machu Picchu, oui n’importe quelle merveille du monde, mais faut bien reconnaître que ça ne sert guère notre modestie toutes ces belles merdes laissées là par des hommes. Et pour tous les français, à part ceux qui vivent dans le Massif Central, il faut aller très loin pour observer des panoramas sans traces humaines à perte de vue (ouais y a la mer mais bon).

Bon ici, il y en a pas mal des traces humaines, des routes et des parkings principalement, mais suffit de se tourner du bon côté pour les virer du cadre. On peut aussi marcher quelques minutes, trouver une petite colline, laisser la voiture loin en bas et embrasser le silence formidable de la Vallée de la Mort. Et là, alors que rien d’humain ne pollue ton champs de vision, tu peux observer des kilomètres de montagnes multicolores, figées là depuis des millions d’années, et penser à l’amplitude incalculable entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, et à toi, pauvre con, perdu quelque part sur cette échelle vertigineuse.

Cette échelle limitée à nos sens étriqués, ça donne les grains de sables sur tes baskets pour le plus petit et ces montagnes gigantesques qui moutonnent jusqu’au fond là-bas où elles disparaissent dans une dentelle bleutée. Mais entre ce petit et ce grand-là, il n’y a que toi : ben merde !

Et pis fatalement, t’entends Gérard qui beugle en sortant de Mosaic Canyon.

— Il m’a pris les mainnnnnns ! Il m’a pris les mainnnnnns et il m’a diiiiiiiiiiiiit… !

Comme seul notre Monument National à nous peut le crier à une Isabelle Huppert en larmes.

Ouais faut avoir vu le film pour vibrer, mais bon, j’ai entendu l’écho de Gégé percuter les dolomites toute la journée alors je partage.

Allez pas d’excuse (si ce n’est qu’il n’est que sur le Netflix ricain)